Manutan France : De quelle manière le Covid-19 a modifié l’organisation du travail en entrepôt ?
Alexis Royer : La crise du covid-19, en particulier la période du confinement, a imposé de faire preuve de flexibilité et d’agilité. La direction logistique des sites de Manutan France, dont j’ai la responsabilité, recouvre l’ensemble des activités de pilotage opérationnel et financier de l’ensemble du marché France, auquel s’ajoute l’activité vers les 17 filiales et les 14 pays du Groupe pour les références en stock et cross dock. Une partie de ces activités repose sur une mutualisation de l’offre au sein des différents pays du Groupe, gérée depuis l’entrepôt de Gonesse, le plus gros site logistique du groupe, avec ses 51 000 m2. Il a pour vocation de stocker une partie des produits à destination des pays dans lesquels nous opérons. Lorsque l’activité est subitement perturbée, comme cela fût le cas à partir de mars dernier, il faut donc faire preuve de réactivité et de créativité pour maintenir une organisation efficiente et permettant d’honorer les commandes de nos clients. Enfin, il faut différencier deux modes de pilotage de l’activité : la gestion d’un site intégré avec un management direct des équipes et la gestion d’un site presté en charge d’une partie de l’activité Manutan. Cette dernière activité nécessite un pilotage à distance via des échanges quotidiens avec ce partenaire.
MAF : Quelles solutions avez-vous mises en œuvre ?
A.R : Le premier défi concerne bien sûr la gestion des ressources humaines. Il faut anticiper et palier les éventuelles absences, ainsi que les cas contacts qui peuvent se présenter. Un autre défi est de garantir les conditions optimales de sécurité pour tous les collaborateurs. A cet égard, le respect scrupuleux des gestes barrières n’est pas une option. Dans ce cas précis, l’avantage de Manutan est de disposer d’une offre qui comprend l’ensemble des produits covid, comme les masques ou le gel hydroalcoolique. Nous avions également mis en place un protocole de prise de température à l’entrée du site afin mieux contrôler notre environnement et limiter les risques pour nos collaborateurs. Cela nous a permis de prendre plusieurs mesures de prévention avant même les consignes gouvernementales. Si bien que le nombre de cas positifs a été très réduit au sein de Manutan, ce qui a permis aux entrepôts de continuer à fonctionner dans des bonnes conditions. Sur un plan strictement sanitaire, les défis majeurs liés à la découverte de ce nouveau contexte sont plutôt derrière nous et nous sommes mieux armés aujourd’hui pour gérer l’imprévisibilité propre à cette crise sanitaire.
MAF : Quels principes guident la gestion des stocks dans le contexte actuel de persistance épidémique et d’incertitude économique ?
A.R : En tant que telle, la gestion de nos stocks n’est pas directement impactée car nous disposons quoi qu’il arrive d’un stock de sécurité et d’un bon niveau de couverture. Malgré cela, de nombreux fournisseurs ont fermé leurs portes pendant la période de confinement ce qui a créé des ruptures sur certains produits. Par ailleurs, la rotation de certains produits a fortement évolué. Je pense bien sûr aux produits de prévention anti-covid, mais aussi au matériel d’aménagement des bureaux, comme les cloisons modulables. Le rythme des commandes a également évolué. Avant la crise sanitaire, les lundis étaient habituellement très chargés, les mardis et mercredis également, tandis que les volumes commandés tendaient à diminuer à partir du jeudi. Aujourd’hui, les volumes tendent plutôt à se lisser sur l’ensemble de la semaine, on assiste donc à un vrai changement de comportement de nos clients certainement explicables par un contexte de télétravail largement répandu.
Cette évolution de la demande a entraîné une revue de l’implantation des produits en entrepôt en fonction de leur rotation. Les produits les plus demandés ont alors été implantés au plus près de la zone de packing. Les flux au sein de l’entrepôt ont également été revus. Trois zones d’activité majeures ont ainsi été créées pour disposer de zones de picking plus grandes et surtout au plus proche de la zone de packing. Ces aménagements illustrent à quel point il est indispensable, dans le contexte actuel, d’appliquer à la gestion des stocks un principe de réactivité et d’agilité.
MAF : Comment donner plus d’agilité aux entrepôts ?
A.R : Tout d’abord, il me paraît essentiel d’insister sur la faculté du Groupe d’avoir pu s’adapter à ce contexte sans précédent. En particulier, j’insisterais sur le fait que l’activité logistique ne peut devenir plus agile seule. Concrètement, cette adaptation de l’organisation n’a été possible que suite à un alignement stratégique partagé avec le département de l’Offre, des Achats, des Approvisionnements, du Transport et enfin de la Logistique. C’est ainsi que la Supply Chain se montrera résiliente. Pour gagner en réactivité, il me paraît également très important de revoir la roadmap des entrepôts et de veiller à ce que tous les produits qui répondent à une forte attente de la part des clients soient traités en priorité. Cela suppose bien sûr de changer un certain nombre de process. Pour que ces changements soient bien perçus, il est très important de donner du sens aux collaborateurs et de s’assurer d’une approche pédagogique. C’est notamment le rôle des managers de faire en sorte que chacun se sente impliqué et concerné par l’action globale de l’entreprise, y compris lorsque celle-ci donne lieu à un changement de process.
MAF. Dans ce contexte, les principes du Lean Logistics vous paraissent-ils opportuns et facilement actionnables ?
A.R : Tout à fait. L’amélioration permanente de la performance repose sur l’analyse constante de la chaîne de valeur, pour identifier les sources de gâchis et supprimer les actions à faible valeur ajoutée au profit de celles qui en ont plus. C’est la raison d’être du Lean Logistics. Cela oriente le regard quotidien que je porte sur l’entrepôt. La recherche permanente d’amélioration de la performance constitue l’ADN de notre gestion de l’entrepôt. Dans ces conditions, le Covid n’a finalement fait que confirmer la pertinence et l’intérêt des actions que nous mettons en œuvre au quotidien. En fin de compte, la contrainte propre au Covid représente une opportunité supplémentaire d’améliorer la performance et de prioriser certains projets. Le challenge quotidien devient assez simple à résumer : faire de toute nouvelle contrainte une vraie opportunité d’actions. De ce point de vue, le Covid ne fait pas exception.
MAF : Face à des commandes en ligne toujours plus nombreuses, quelle place accorder à la data, à l’automatisation et à l’Intelligence artificielle dans la gestion des entrepôts ?
A.R : L’e-commerce est au centre de l’activité de Manutan, puisque tout passe par notre site et que nous ne disposons pas de magasin physique. Nous anticipons bien sûr une augmentation du trafic et nous nous organisons pour répondre à cette demande. Toute commande finalisée avant 16 heures doit être expédiée à jour J. C’est le cœur de notre promesse ! Il est donc essentiel d’être parfaitement dimensionné pour répondre en permanence à cette exigence. L’Intelligence artificielle peut avoir un grand intérêt au sein de la chaîne logistique, au niveau des achats et des approvisionnements par exemple, pour identifier les variations de business et mettre en place de nouvelles stratégies. Son intérêt prédictif me paraît moins facile à mettre en œuvre pour la gestion quotidienne des entrepôts, même si dans leur cas, la robotisation et l’automatisation représentent d’indéniables gains de productivité.
MAF : Comment l’ensemble des actions à venir peut-il s’intégrer dans la démarche RSE des entreprises ?
A.R : La politique RSE est aujourd’hui incontournable. Au-delà du coût et de la qualité de réalisation d’une prestation logistique, la véracité de l’engagement RSE est devenu un véritable élément différenciant dans les réponses aux appels d’offre. Les processus mis en œuvre dans les entrepôts sont bien sûr totalement parties prenantes de ces engagements. Cela peut se traduire notamment en termes de packing. Il est essentiel par exemple que l’emballage soit parfaitement adapté au format du produit de manière à limiter la matière première consommée. Plus le carton est grand, et plus vous envoyez du vide ! Cela crée ensuite tout une chaîne de gâchis ! Par ailleurs, moins il y a de vide dans les cartons et moins il y a besoin de matériaux de calage. Le taux de remplissage des camions s’en trouve également amélioré puisqu’on peut y charger un plus grand nombre de commandes. Le besoin en moyens de transport s’en voit mécaniquement diminué suite à cette optimisation. Au total, un paramètre comme la taille du carton d’emballage peut avoir un effet très conséquent, en bien ou en mal, sur l’empreinte environnementale de l’ensemble de la chaîne logistique. Je souhaite toutefois aller plus loin. C’est pourquoi j’étudie actuellement la possibilité d’utiliser des solutions de calage constituées de fibres textiles 100% recyclées plutôt que des matériaux de calage fabriqués à partir de matériaux partiellement recyclés. Là aussi, c’est le principe d’amélioration permanente qui doit guider nos actions au quotidien.